Coronavirus, variations sur le thème du droit de retrait

Coronavirus, variations sur le thème du droit de retrait

Publié le : 23/03/2020 23 mars mars 03 2020

Institué par la loi du 23 décembre 1982, le droit de retrait répond à une procédure stricte et précise que chaque salarié doit observer afin de pouvoir bénéficier de la protection particulière prévue par le Code du travail.

L'article L4131-1du Code du travail permet à tout travailleur d'alerter « immédiatement l'employeur de toute situation de travail dont il a un motif raisonnable de penser qu'elle présente un danger grave et imminent pour sa vie ou sa santé ainsi que de toute défectuosité qu'il constate dans les systèmes de protection. ».

Après avoir fait valoir son droit d'alerte, le travailleur « peut se retirer d'une telle situation ».

L'article L4131-1 interdit à l'employeur de demander « au travailleur qui a fait usage de son droit de retrait de reprendre son activité dans une situation de travail où persiste un danger grave et imminent résultant notamment d'une défectuosité du système de protection. ».

Les conditions de mise en œuvre du droit de retrait

L'exercice d'un droit d'alerte préalable afin que l’employeur concerné soit en mesure de réagir :

Le droit de retrait n'est que le corollaire du droit d'alerte :

« Le droit de retrait ne peut s'exercer sans utiliser, au préalable ou simultanément, la procédure d'alerte, qui consiste, pour le salarié, à signaler à l'employeur (directement ou par l'intermédiaire d'un représentant du personnel) l'existence d'un danger grave et imminent. Le retrait peut intervenir à la suite d'une information donnée par tout moyen » (Circulaire DGT 2007/18, 18 décembre 2007 ) car les dispositions du droit du travail n'obligent pas le salarié à consigner son droit d'alerte par écrit ( Cassation Sociale 28 mai 2008 n° 07-15744 ).

Ainsi, il revient  à chaque salarié d'alerter, dans un premier temps, l'employeur de la situation de travail présentant un danger grave et imminent avant, dans un second temps, d'informer l'employeur qu'il se retire de la situation de travail.

Bien qu'il puisse tout à fait être mis en œuvre de manière collective, c'est-à-dire par plusieurs personnes simultanément ( Cassation Sociale, 22 octobre 2008, n° 07-43740 ), le droit d'alerte et de retrait est une prérogative personnelle qui doit être exercée individuellement.

L'existence d'un motif raisonnable

Un travailleur ou un groupe de travailleurs qui décident de se retirer d'une situation de travail doivent avoir un motif légitime de craindre pour leur vie ou leur santé.

La loi n'exige pas que le caractère de gravité du danger et son imminence apparaissent comme réels et effectifs.

Ainsi le Conseil d'Etat a-t-il considéré qu'une clause de règlement intérieur subordonnant le retrait l'existence d'un danger effectif était contraire à la loi ( Conseil d'Etat, 9 octobre 1987, no 69.829).

Le salarié conserve donc une latitude d'appréciation et un certain droit à l'erreur ( Cassation Sociale, 11 décembre 1986, n° 84-42.209 ), mais dans la limite du raisonnable.

La notion de danger grave et imminent

Selon la circulaire n° 93/15 de la direction générale du travail du 25 mars 1993, le danger est grave lorsqu'il est susceptible de produire un accident ou une maladie entraînant la mort ou paraissant devoir entraîner une incapacité permanente ou temporaire prolongée ; il est imminent lorsqu'il est susceptible de se réaliser brutalement dans un délai rapproché.

Malgré cette définition objective, la notion de danger grave et imminent doit être appréhendée de manière subjective : le salarié avait-il un motif raisonnable de se croire menacé par un danger grave et imminent ?

Le Covid 19 constitue-t ’il un danger grave et imminent ?

Alors que la France est entrée en confinement suit à la pandémie de Coronavirus, les pouvoirs publics incitent les entreprises qui ne sont pas frappées par les fermetures obligatoires à poursuivre leur activité, en priorisant le télétravail.

Lorsque le télétravail n'est pas possible, les salariés sont amenés à poursuivre leurs fonctions sur leurs lieux de travail habituels ; se pose alors la question de l'exercice du droit de retrait dans ce contexte.

Dans le document « Coronavirus – Covid-19 Questions/réponses pour les entreprises et les salariés, mis à jour le 19 mars 2020, le ministère du travail précise que la pandémie ne constitue pas en soi un motif raisonnable pour exercer un droit de retrait.

Selon le texte, si l'employeur a mis en œuvre les dispositions prévues par le Code du travail et les recommandations du gouvernement ( les mesures dites « barrières » tels que permettre aux salariés de se laver les mains régulièrement avec du savon ou les désinfecter avec une solution hydro-alcoolique ; respecter la distance d'un mètre entre chaque salarié ) et a vérifié leur mise en œuvre effective, le droit individuel de retrait ne peut, en principe, trouver à s'exercer.

Le ministère du travail précise toutefois la situation dans laquelle un salarié serait affecté à un poste de travail le mettant en contact avec du public et distingue, dans ce cadre, deux cas de figure :
  • Lorsque les contacts sont brefs, les mesures « barrières » , notamment le lavage très régulier des mains, suffiraient à préserver la santé du salarié ;
  • Lorsque les contacts sont prolongés et proches , il faudrait compléter les mesures barrières par exemple par l'installation d'une zone de courtoisie d'un mètre ou par le nettoyage des surfaces avec un produit approprié.
Le ministère du travail prévoit également le cas de contamination d'un salarié ; pour la protection de ses collègues, l'employeur doit :
  • Renvoyer de suite le salarié contaminé chez lui avec un masque ;
  • Informer les autres salariés d'un cas possible d'infection afin qu'ils soient vigilants à l'apparition éventuelle de symptômes et qu'ils restent à domicile si c'est le cas ;
  • Equiper les personnes en charge du nettoyage des sols et surfaces avec port d'une blouse à usage unique et gants de ménage ;
  • Entretenir des sols en privilégiant une stratégie de lavage-désinfection humide.
Dans l'hypothèse où l'employeur a observé les mesures décrites ci-dessus, le salarié ne pourrait donc, au sens du texte « Questions/réponses », se prévaloir d'un motif raisonnable d’opposer l'existence d'un danger grave et imminent.

Le document du ministère du travail prend soin de préciser que les tribunaux pourraient porter une appréciation différente des circonstances.

Le droit de retrait ayant un caractère subjectif et individuel, les juges seront en effet amenés à se prononcer au cas par cas et pourraient tenir compte, à titre d'illustration, de l'âge ou de l'état de santé d'un salarié qui présenterait des fragilités augmentant les risques de contamination par le coronavirus.

Les effets de la mise en œuvre du droit de retrait

L'absence d'obligation de reprise du travail

Aux termes de l'article L4131-1 du Code du travail, l'employeur ne peut exiger du travailleur qui a fait usage de son droit de retrait de reprendre son activité face à la persistance d'une situation créant, de manière grave et imminente, un danger pour sa personne.

L'exercice du droit de retrait perdure tant que l'employeur n'a pas pris de mesures pour faire cesser l'existence du danger.

Le maintien du salaire

L'article L4131-3 du Code du travail énonce : « Aucune sanction, aucune retenue de salaire ne peut être prise à l'encontre d'un travailleur ou d'un groupe de travailleurs qui se sont retirés d'une situation de travail dont ils avaient un motif raisonnable de penser qu'elle présentait un danger grave et imminent pour la vie ou pour la santé de chacun d'eux ».

Par conséquent, l'intégralité du salaire est due au salarié, pendant toute la durée du retrait, dès lors que les conditions d'exercice du droit de retrait sont réunies et tant que persiste le danger grave et imminent.

La sanction du droit de retrait :

S'il estime abusif le droit de retrait, l'employeur est en droit d'opérer une retenue de salaire : Il a ainsi été jugé que ne constitue pas une sanction pécuniaire une retenue de salaire à l’encontre de
salariés qui ont exercé leur droit de retrait alors qu’il n’était pas établi qu’ils avaient un motif
raisonnable de penser que la situation présentait un danger grave et imminent.

La décision d'opérer une retenue sur salaire n'a pas à être préalablement autorisée par un juge ( Cassation Criminelle 25 novembre 2008 n° 07-87.650 ). Il en va de même pour une sanction disciplinaire, voire un licenciement, qui seront validés par le juge si ce dernier ne reconnaît pas la légitimité du droit de retrait.

Qu'elle soit individuelle ou collective, l'utilisation du droit de retrait ne saurait dissimuler d'autres fins.

Ainsi, les conducteurs de toute une ligne de bus ne peuvent exercer le droit de retrait simplement pour protester contre l'agression d'un de leurs collègues ( Cassation Sociale 23 avril 2003, n° 01-44.806 ).

Il convient de garder à l'esprit qu'il incombe à l'employeur de nombreuses obligations en matière de santé et de sécurité au travail et que si en cas de litige porté devant une juridiction, le droit de retrait est reconnu légitime, les conséquences pour l'employeur peuvent être très lourdes.

D'abord, le bénéfice de la faute inexcusable de l'employeur est de droit si un accident du travail ou une maladie professionnelle survient alors qu'une alerte a été donnée et que l'employeur n'a pris aucune mesure pour y répondre ( Article L 4131-4 Code du travail ).

Ensuite, même si les lésions subies par un salarié ne résultent pas d'un accident du travail ou d'une maladie professionnelle, l'employeur peut engager sa responsabilité civile et pénale s’il n'a pas mis en place les actions de prévention qui découlent de son obligation générale de préserver la santé et la sécurité des travailleurs ( Articles L4121-1 et L4121-2 du Code du travail ).

Dans cette perspective de préservation de la santé des travailleurs et devant l'impossibilité de mettre en place le télétravail, l'employeur doit procéder à une évaluation du risque professionnel.

En pleine épidémie du coronavirus, l'évaluation doit être renouvelée dans le cadre du document unique d'évaluation des risques, « pour réduire au maximum les risques de contagion sur le lieu de travail ou à l’occasion du travail, par des mesures telles que des actions de prévention, d’information et de formation, ainsi que la mise en place de moyens adaptés » ( Document « Questions/réponses » du ministère du travail ).

L'employeur doit également procéder à l'aménagement des postes de travail ; ainsi, dans le contexte d'épidémie du coronavirus, il doit veiller par exemple à faire respecter la distance d'un mètre entre les salariés.

D'autres mesures en l'absence desquelles l'employeur pourrait se voir reprocher un manquement à son obligation de sécurité sont à prévoir, comme éviter tout déplacement ou réunion non indispensables ou appliquer les recommandations du gouvernement évoquées en amont.

Elles doivent être consignées dans un plan de continuité d’activité.

Enfin, la nullité d'un licenciement dirigé contre un salarié ayant usé légitimement de son droit de retrait expose l'employeur au risque de devoir lui verser de lourdes indemnités, le plafond d'indemnisation prévu à l'article L1235-3 du Code du travail n'étant pas applicable.

Il convient de se rappeler que Conseil de prud’hommes prend sa décision au regard des éléments de preuve fournis par l’employeur et le salarié et que si un doute subsiste, il profite au salarié (article L1333-1 du Code du travail ).

Au regard du caractère inédit du risque lié à l'épidémie de coronavirus, conjugué à l'aspect casuistique du droit de retrait, l'incertitude judiciaire est grande ;

Il semble donc plus que jamais de l'intérêt, tant pour l'employeur que pour le salarié, de privilégier le dialogue et de trouver des solutions alternatives au contentieux.

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